Célia Grémy / Blog "Communication politique" - 23 octobre 2011
Enjeu : un exercice de fond et de forme
("La forme c'est le fond"- V. Hugo)
("La forme c'est le fond"- V. Hugo)
- Un acte symbolique :
- Déclaration d'engagement du candidat envers son peuple, il marque l'entrée officielle en campagne du candidat-président qui dévoile ses motivations et trace les grandes lignes de son projet, de sa vision
- Même si la candidature est une évidence pour tout le monde, elle doit être un temps fort de la campagne et de la course pour la présidentielle
- Un moment fondateur qui donne le ton de la campagne
- Au-delà de la déclaration formelle :
- Réussi, cet acte (re)devient une formalité, une étape franchie et validée qui conforte le candidat (et son parti) dans sa dynamique, son style, son projet.
- A l'inverse, s'il est raté, il devient en soi un fait annonciateur d'une éventuelle défaite à venir.
Stratégie
- Messages : au-delà de la simple déclaration de candidature, marquer l'engagement pour la victoire par les motivations et sa vision pour le pays
- 1001 manières de se déclarer (forme, support) : à l'oral ou par écrit, dans le cadre d'un meeting, par une lettre, par fax, par voie de presse, sur les réseaux sociaux, par email, sous forme de boutade...
- Le moment : quand se déclarer? Deux mois avant le scrutin? Trois ans, cinq mois avant? Le calendrier est déterminé par la propre feuille de route de campagne du candidat (contraint ou non au devoir de réserve), et aux cartes déjà dévoilées des autres favoris en lice (dans son propre camp et adverse) pour prendre de vitesse ou attendre mais toujours s'imposer
- Le séquençage :
- Avant : précédé de ralliements, d'un appel du parti, de pré-déclarations (selon que le candidat exerce une fonction de chef d'Etat ou de gouvernement, ou toute autre fonction impliquant un droit de réserve)...
- Après : une séquence finement orchestrée pour installer le candidat-président en futur-président
Cas 1 : l'acte de candidature de François Hollande et de Martine Aubry pour 2012 (le terroir, valeur sûre)
- Martine Aubry (28 juin 2011)
- Enjeu : gommer le handicap d'apparaître comme la candidate de "substitution"
- Manière :
- Elle se prononce d'abord depuis son fief lillois avant d'intervenir sur le plateau du JT de 20h de France2
- A Lille, une mise en scène sobre : seule devant un fond bleu, avec les drapeaux français et européen, pas de ténor socialiste à ses côtés
- Discours : rendre à la France sa force et sa sérénité (articulé en 1) critique du pouvoir en place, 2) déclaration et engagement, 3) projet socialiste
- "Un pouvoir enfermé dans ses certitudes"
- "On ne gouverne pas en opposant les Français entre eux" "On ne préside pas la France sans porter haut ses valeurs et son identité".
- "Derrière l'apparence de l'énergie, qui se confond avec de l'agitation, le pouvoir a une réalité, une politique injuste menée au profit des privilégiés"
- "la France connaît des heures difficiles"
- "j'ai décidé de proposer ma candidature à l'élection présidentielle"
"une vision claire, une action cohérente, un langage de vérité"
"résolue à [se] battre de toutes [ses] forces"' pour "redonner un avenir" au pays.
Son envie de "rendre à la France sa force, sa sérénité, son unité". - "tout ne sera évidemment pas possible tout de suite", tout en promettant : "nous reprendrons ensemble le chemin du progrès".
"un vrai souffle démocratique : une présidente qui préside, un gouvernement qui gouverne, un parlement renforcé et respecté, l'indépendance de la justice et des médias assurée, des syndicats et des associations au cœur du changement, une nouvelle décentralisation". - "Je veux relever le défi d'une France innovante, compétitive et écologique" : "Droit au logement", "sécurité", "retraite décente", "accès aux soins et au logement"...
- Nous avons tous les atouts pour réussir dans la compétition mondiale en bâtissant, dans une France conquérante, un nouveau modèle économique, social et écologique, qui donnera à la France une génération d'avance"
- "rassembler aujourd'hui les femmes et les hommes de gauche, les écologistes et les humanistes", elle a conclu en prenant "l'engagement de la victoire en 2012".
- François Hollande (31 mars 2011)
- Il a choisi son fief électoral, Tulle, pour annoncer sa candidature aux primaires socialistes après sa réelection à la présidence du Conseil général de la Corrèze, le 31 mars 2011
Cas 2 : l'acte de candidature de Nicolas Sarkozy pour 2007 (le brio de la pré-annonce, le cafouillage de la déclaration formelle)
- Enjeu triple :
- Défi #1: préempter très tôt la candidature de la droite. La succession de Chirac ouvre le jeu à droite. Plusieurs ténors peuvent se lancer dans la course (D. de Villepin notamment).
- Défi #2: incarner la rupture (son positionnement pour ne pas avoir à assumer et subir le bilan Chirac et essuyer la lassitude de l'électorat) : candidat de la rupture, il ne peut pas faire de la «rupture» un programme avec une déclaration banale
- Défi #3: Dépasser l'image d'électron libre ambitieux et poil-à-gratter pour s'imposer en candidat de la droite ; donner des garanties de sa capacité à opérer la "magie du rassemblement", au-delà des clivages
- La pré-annonce (3 ans et demi avant l'élection)
- Le brio de la méthode : en novembre 2003, Nicolas Sarkozy alors ministre de l'Intérieur a
bousculé les codes dès novembre 2003, sur le plateau de l'émission "100
minutes pour convaincre".
- Sur le plateau, le 20 novembre 2003: "Pensez-vous à la présidentielle quand vous rasez le matin?", demande le journaliste Alain Duhamel, en fin d'émission. "Pas simplement quand je me rase", répond Nicolas Sarkozy.
- Cette boutade, immédiatement reprise par tous les médias, a l'effet d'une bombe à droite et à l'Elysée.
- Elle a marqué le coup d'envoi officielle de son opération séduction des cadres de l'UMP, des médias et de l'opinion.
- Avant la déclaration formelle (novembre 2006)
- J - 7 : Opération «48 heures pour le projet de la France d’après», permettant aussi à Sarkozy de parler de la magie du rassemblement et de mettre en garde ceux qui veulent diviser
- J - 5 : Teasing médiatique : alors que Ségolène Royal braque l'attention des médias sur elle, à 5 mois de l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy essaye de faire monter "la sauce" sur le moment et la manière dont il annoncera aux Français
- J-2 : son entourage laisse fuiter que le format de la déclaration de candidature sera "surprenant"
- La déclaration officielle : Sarkozy rate son coup (5 mois avant l'élection)
-
Le candidat UMP rate pourtant son annonce
officielle : son entretien à 61 journaux régionaux a fuité sur le
site de Libération, la veille, le 29 novembre, jour de l'anniversaire
de Jacques Chirac. Il a également raté sa séquence
internet. Son site de campagne n'est pas sorti au moment où il est sur
tous les plateaux télévision.
- Le choix du support : reprendre à son compte la méthode d'un candidat-gagnant : S'adresser aux Français et se déclarer dans la presse quotidienne de province, comme Jacques Chirac l'avait fait en 1994 (par une interview au quotidien La Voix du Nord) avant de remporter le scrutin
- Innover en augmentant la force de frappe médiatique : viser non pas un, mais plusieurs titres de presse de province
- L'après-déclaration : le soir du jour J, il explique ses motivations et les grandes lignes de son programme sur le plateau de télévision d'une émission politique (France 2 : "A vous de juger") pendant près de 3 heures...
- Les réactions : déception et surprise ; "beaucoup de bruit pour rien" ; le candidat s'installe dans le rôle de joueur politique audacieux, qui n'a pas froid et prompt à recourir aux coups de poker, ce qui plaît ou non.
Cas 3 : l'acte de candidature de Lionel Jospin pour 2002 (fiasco)
- La méthode du fax : glacial, anodin, "un avis de décès" ont même critiqué certains
- Timing : annonce faite dix jours après celle de Jacques Chirac
- Envoi en fin d'après-midi d'un fax sibyllin à l'Agence France Presse depuis son domicile parisien : « Lionel Jospin candidat à la présidence de la République. »
- Aussitôt les journalistes qui connaissent l’adresse de Jospin s’y précipitent. Les premiers arrivés découvrent un homme seul, descendu de chez lui et qui, sur le trottoir, longe le mur. La démarche est un peu empruntée. Surpris et pas surpris par la présence de quelques caméras. C’est « le » candidat, celui qui doit et va terrasser Chirac.
- Ce communiqué de quelques mots est apparu après coup comme le premier acte d'une campagne ratée qui débouchera sur l'élimination du Premier ministre PS au premier tour, au soir du 21 avril 2002.
Cas 4 : l'acte de candidature de Jacques Chirac pour 1995 (prendre de vitesse ; proximité vs. distance)
- 1995 : Jacques Chirac prend de vitesse son adversaire Edouard Balladur (déclaré en 18 janvier 1995 par une annonce télévisée à Matignon) en s'adressant aux Français depuis la province : par une interview au quotidien La Voix du Nord le 4 octobre 1994
- Pour l'élection de 2002, il se déclare candidat depuis un déplacement à Avignon : dans une réponse à la maire d'Avignon
- 1981, 1998 : les déclarations d'un perdant
- En 1981, maire de Paris, et 1988, Premier ministre, il se déclare depuis son bureau de l'hôtel de Ville ou de Matignon, seul face à la caméra, sur un ton officiel, trop solennel, trop lointain, et distant. Echec.
Cas 5 : l'acte de candidature de François Mitterrand pour 1988 (campagne éclair, "petit oui" télévisé)
- En 1988, François Mitterrand est président sortant. Il est le dernier à s’exprimer. Jacques Chirac, son Premier ministre de cohabitation, s’est déclaré dès le mois de janvier depuis son bureau de Matignon, mais le président attend le 22 mars, soit juste deux mois avant l’échéance. Il mise donc sur une campagne courte. Sa candidature est officialisée en quelques réponses lapidaires dans le journal télévisé d'Antenne 2
Cas 6 : l'acte de candidature de François Mitterrand pour 1981 (Rocard écarté)
- Après la déclaration ratée de Michel Rocard le 19 octobre 1980 depuis sa mairie de Conflans-Sainte-Honorine : caméras mal placées, mauvaise lumière, discours flottant, candidature floue et incertaine, manque de souffle et d'élan
- François Mitterrand se déclare le 8 novembre 1980. Rocard se retire. Mitterrand est désigné par le PS le 24 janvier 1981. "Il ne s’agit plus de moi, c’est le parti tout entier qui s’engage ", déclare-t-il très solennel.
- Avant les déclarations de Valéry Giscard d'Estaing, président sortant (3 mars 1981) et de Jacques Chirac (2 février 1981)
Cas 7 : l'acte de candidature de Valéry Giscard d’Estaing pour 1974 (territoire)
- Le choix du terroir, le choix du mass média : Valéry Giscard d’Estaing regarde «la France au fond des yeux» à la télévision en direct de sa circonscription, depuis sa mairie de Chamalières dans le Puy-de-Dôme
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